Situé dans la partie nord de la ville de Diourbel, c’est dans ce lieu où Mame Cheikh Ibrahima Fall a vécu et terminé sa mission auprès de Serigne Touba, en juin 1930.

Situé dans la partie nord de la ville de Diourbel, c’est dans ce lieu où Mame Cheikh Ibrahima Fall a vécu et terminé sa mission auprès de Serigne Touba, en juin 1930.

Ça pourrait être un signe du destin. Un divin remake porteur d’un message de proximité dans les rapports entre les deux saints hommes. Entre Mame Cheikh Ibrahima Fall et Cheikhoul Khadim, ce n’est pas juste une relation entre un talibé et un marabout, mais plus une convergence spirituelle. Entre Mame Borom Touba et Mame Lamp Fall, l’histoire est céleste. Comme une conjonction d’étoiles. Après plusieurs années d’exil au Gabon, en Mauritanie puis à Thiéyenne Djoloff (Sénégal), Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké a passé les quinze dernières années de sa vie au quartier Keur Gou Mag, à Diourbel, en résidence surveillée. C’est dans ce même lieu chargé d’histoires où a aussi vécu durant les 15 dernières années de sa vie Mame Cheikh Ibrahima Fall. A l’époque, l’endroit était un terrain vague appelé «baay dé» que personne n’osait labourer. Cheikhoul Khadim va le purifier avant d’inviter ses proches, dont Mame Cheikh Ibrahima Fall, à s’y installer. Ce dernier baptisa ce lieu, niché dans l’actuel quartier Keur Cheikh de Diourbel, Makatoul Moukarama. Il y vécut de 1918 jusqu’à son rappel à Dieu, en juin 1930. 

 

«Les deux cuisines de Mame Cheikh et les préparations des Ndogou du Cheikh»
Cet après-midi-là à Keur Cheikh près de Keur Gou Mag, à l’ouest de la ville de Diourbel, Conservateur de la résidence, Baye Malick Fall, habillé d’un caftan en tissu «maylouss» noir assorti d’un pantalon bouffant, reçoit dans la sobriété, dans l’une de la dizaine de cours que compte la résidence. Makatoul Moukarama est d’une architecture magistrale. Une concession sous forme de labyrinthe où les portes communiquent entre elles pour donner toutes sur la grande cour. Dans cette cour, un puits peint en noir et blanc accueille devant un bâtiment imposant à l’architecture moderne. Un exemplaire de recueil de poèmes du Cheikh entre les mains, Baye Malick se livre avec joie à une visite guidée. «Cheikh Ibrahima Fall n’avait pas choisi ce lieu par hasard. C’est sur l’ordre de Serigne Touba qu’il décida de quitter Médinatoul Mounawara pour venir s’installer ici, après qu’une épidémie de peste a emporté plusieurs de ses fidèles. C’est dans cette concession que Mame Cheikh préparait différents plats qu’il apportait à Serigne Touba pour les Ndogou du ramadan. Pendant près de 14 ans que Mame Cheikh Ibrahima Fall a vécu dans cette maison, il a toujours respecté les Ndogou», rappelle le gardien des lieux. Dans cette concession, Baye Malick confie qu’il y avait deux cuisines. L’une appelée «Gaamatt» située à l’entrée de la cour principale où on cuisinait plusieurs mets. Et l’autre située à côté de la chambre de retraite du Cheikh où le cuisinier personnel du Mame Cheikh Ibrahima Fall, Baye Cheikh Tall Gallo, préparait des plats spéciaux pour Serigne Touba. «En période de Ramadan, Mame Cheikh apportait, chaque jour, 12 bols de différents mets et un bol spécial pour Cheikhoul Khadim. Le bol spécial était préparé par Baye Cheikh Tall Gallo dans la cuisine interne de Mame Cheikh. Ce sont ces treize bols que Mame Cheikh envoyait à Serigne Touba en guise de Ndogou», explique Baye Malick Fall.

La case de Mame Seynabou Ndiaye, l’eau du puits et les vertus thérapeutiques
A côté de ses deux cuisines, les appartements privés de Mame Cheikh Ibrahima Fall et le jardin où plusieurs types de légumes et fruits étaient cultivés, complètent le décor de la concession du guide religieux. Dans le dernier carré situé à l’ouest de la concession, Serigne Cheikh Ndigueul Fall qui a aujourd’hui la responsabilité de la résidence, a érigé un daara qui accueille les petits-fils de Cheikh Ibra Fall. C’est dans ce carré qui abritait également la case de Mame Seynabou Ndiaye, mère de Mame Cheikh Ibrahima Fall, que le marabout avait creusé un puits qui fonctionne toujours et dont on dit que l’eau a des vertus thérapeutiques. «Le puits se trouve dans l’emplacement exact de la case de Mame Seynabou Ndiaye. L’eau du puits soigne plusieurs maux. Des personnalités et beaucoup d’autres personnes viennent ici s’en procurer», fait savoir le conservateur des lieux. 
Mame Cheikh Ibrahima Fall n’avait pas fait l’école coloniale, mais il était d’une finesse remarquable dans l’organisation et la gestion de ses affaires courantes. L’organisation qu’il avait établie dans sa concession à Diourbel en témoigne. D’après le conservateur de la résidence Makatoul Moukarama, Mame Cheikh Ibrahima Fall gérait sa maison comme on administre un Etat. Le guide religieux avait responsabilisé 12 de ses proches collaborateurs avec pour chacun une fonction particulière. Parmi ces 12 responsables, il y avait, entre autres, Baye Cheikh Tall Gallo qui était le cuisinier particulier de Cheikh Ibrahima Fall. Car, soutient Baye Malick, la cuisine et le linge du marabout étaient toujours assurés par les hommes. Serigne Saliou Niang était le concierge. Il gardait les clefs de la maison. Et Baye Ibrahima Kane était le trésorier. Il s’occupait de tout ce qui est argent. 

Le manteau noir, l’écharpe, les chaussures, la calebasse (keule) et la distinction de l’Ordre de l’étoile noire
A Makatoul Moukarama, la baraque qui apparaît sur la photo de Mame Cheikh Ibrahima Fall, résiste encore à l’épreuve du temps. Composée de trois pièces et de deux vérandas et d’une salle de retraite, la baraque en bois du Cheikh a subi quelques retouches, mais garde l’architecture originale. A l’intérieur, sont conservés des objets de valeur du Cheikh. Baye Malick Fall : «Cette baraque a été construite à Ndande Fall, ensuite Mame Cheikh l’a apportée à Thiès puis elle a été déplacée pour être installée ici à Diourbel. Aujourd’hui, c’est dans cette baraque que sont conservées plusieurs affaires de Mame Cheikh». Derrière des vitrines sont exposés des écrits du Cheikh et plusieurs autres objets comme l’une des grandes calebasses du marabout. Dans ce décor figure une distinction de l’Ordre de l’étoile noire. Mame Cheikh Ibrahima Fall a été distingué par le Grand chancelier de l’Ordre national de la légion d’honneur par décret du onze novembre mille neuf cent dix-huit. Sur le document plastifié, on peut lire : «Le président de la République française a conféré à Ibra Fall, Marabout du Sénégal, la décoration de Chevalier de l’Ordre de l’étoile noire.» Au fond de sa pièce de retraite sont exposés fièrement le grand manteau noir, l’écharpe de même couleur et les chaussures que le marabout portait dans l’une de ses photos où il est accompagné de ses talibés.
Dans ses affaires soigneusement gardées à Diourbel, figure un fauteuil Baumann qui date de l’entre-deux guerres. Il s’agit de la version tournante du fauteuil de bureau Baumann. Ses quatre pieds chantournés et disposés en étoile servent de support à une vis de réglage en hauteur et d’un système de berceuse en métal pour l’inclinaison. «A l’époque, il n’y avait que deux exemplaires de ce fauteuil au Sénégal. L’un appartenait à Mame Cheikh et l’autre au Gouverneur. Quand Mame Cheikh était assis sur ce fauteuil, les talibés l’encerclaient pour scander les noms d’Allah. Le saint homme faisait des rotations à 360° et s’il s’arrêtait devant un fidèle et que leurs yeux se croisaient, ce dernier savait qu’il ne vivra plus longtemps. Tous les talibés le savaient. C’est pourquoi quand les fidèles faisaient le Zikr en présence du Cheikh, personne n’osait soulever son regard pour le fixer dans les yeux», conte Baye Malick Fall. Aujourd’hui, cette concession du Cheikh reste un lieu de pèlerinage pour les fidèles et un daara pour l’apprentissage du saint Coran. 

Les derniers jours de Mame Cheikh Ibrahima Fall 


Durant ses derniers moments sur terre, Mame Cheikh est resté trois jours sans sortir de sa retraite spirituelle. C’est son fils, Serigne Modou Moustapha Fall et Serigne Bassirou Mbacké, père de l’actuel Khalife général des Mourides, qui l’ont assisté durant ses dernières heures dans ce bas monde. Baye Malick Fall raconte : «Quand les travaux du chemin de fer Diourbel-Touba ont démarré sous le Ndigueul du premier Khalife de Serigne Touba, Serigne Moustapha Mbacké, Mame Cheikh est parti pour y participer.» Au retour à son domicile, il a regroupé tous ses proches pour la dernière fois. Il s’est entretenu avec eux dans un langage codé et leur a demandé de poursuivre le compagnonnage avec son fils, Serigne Modou Moustapha Fall, s’il venait à quitter ce monde. C’est après cet entretien qu’il s’est retiré dans sa chambre ordonnant de ne pas être dérangé. Il n’a plus fait signe de vie. Cela, pendant 3 jours. A l’issue, l’émissaire de Serigne Bassirou Mbacké, Baye Cheikh Dia est venu pour le rencontrer. Serigne Saliou Niang lui fait savoir que Mame Cheikh observe une retraite spirituelle et a demandé à ne pas être dérangé. Devant son insistance, Mame Cheikh est sorti pour inviter Baye Cheikh Dia à le suivre dans la chambre. Après un bref échange durant lequel Mame Cheikh lui a offert un morceau d’aubergine, Baye Cheikh Dia est retourné auprès de son émissaire, Serigne Bassirou, avec comme message de venir au chevet de Mame Cheikh Ibrahima Fall. Une fois à son chevet, Mame Cheikh a déposé sa tête sur les genoux de Serigne Bassirou et a émis le vœu d’être enterré à Touba, s’il quitte ce monde. «Si tu réalises mon vœu, un jour viendra, toute la communauté mouride sera sous ton Ndigueul», lui a-t-il soufflé. Cette promesse de Mame Cheikh s’est réalisée avec l’actuel Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké Bassirou. C’est Serigne Bassirou Mbacké et Serigne Modou Moustapha Fall qui l’ont assisté durant ses dernières heures sur terre. A sa mort, la case dans laquelle il a passé ses derniers jours a été enterrée en entier sur l’emplacement où elle était dressée. Aujourd’hui, l’endroit est érigé en mausolée où se rendent les fidèles en pèlerinage. A la mémoire du saint homme.
FALLOU FAYE